Le passeur de culture
Ni d’avant et pas plus d’arrière-garde, l’œuvre de Jacques Lisée conduit le spectateur à l’émotion au temps présent. Un fait rare depuis la présence dans la sphère des arts visuels des artistes universitaires pour qui, le sujet de l’œuvre réside, somme toute, dans la manière d’appliquer la matière colorée sur la toile. Sans plus. Or, la présence d’une émotion livrée, et bien réelle, demeurera toujours la plus belle communication de l’artiste vers le large public, ému, capable d’y projeter souvenirs et états d’âmes.
Plus qu’évocateurs, sans nostalgie, mais gorgés des sucs les plus savoureux commandant les souvenirs venant transcender le non-dit de l’histoire patrimoniale et familiale de plusieurs générations du Québec, les bas-reliefs polychromes de Jacques Lisée sont d’une maîtrise d’exécution vécue et assumée au quotidien. Toujours émouvant, l’artiste sait conduire le spectateur droit à l’émotion. En toute liberté, guidé par la recherche du merveilleux de la création prenant forme sous ses yeux. Jacques Lisée capte et puise ses sujets des souvenirs de l’enfance. Du magasin général de son grand-père Patry, surtout. Mais tout autant à partir du moment où, dans la vingtaine, il s’est fait boucher au IGA de Thetford Mines dont l’oncle et le père étaient les dynamiques propriétaires. Lisée aurait pu s’y consacrer toute sa vie. Sauf que, fort déjà de la création de bas-reliefs et sculptures, il relève le défi de la Centrale d’artisanat du Québec à Montréal. Cela sans connaître vraiment le sérieux et la portée de cette institution qui était à l’époque le principal fournisseur des créations en métiers d’art, tant à Montréal qu’à travers le Québec entier. Une judicieuse intuition, puisque le réputé sculpteur Léo Gervais, magistrat à l’admission des artistes et artisans, le remarqua d’emblée pour l’aplomb, le propos et la vigueur de son approche en art. S’en suivirent des œuvres formidables qui, fortes du soutien de la Centrale, trouvèrent facilement le chemin vers les plus importantes collections. C’était en 1973. Il y a 40 ans, déjà.
Oui, depuis plus de quarante ans, Jacques Lisée observe, transpose et convertit. Il ébauche alors un coin de rue, des passants, quelques maisons villageoises, mieux, une patinoire d’arrière-cour où les filles agglutinées et ricaneuses patinent en groupe, et où les garçons recherchent la prouesse et l’honneur au hockey. Les tableaux de Lisée relèvent le savoureux de l’art populaire. Une forme d’art que je soutiendrai toujours par amour, souvenirs et passion. Plus encore lorsque l’on pense qu’il est facile pour un artiste de se dire Populaire, mais encore moins de le rester!
Bien installé sur les hauteurs vallonnées de Thetford Mines au Québec, ce lieu où gît l’atelier de l’homme pour lequel tout devient possible entre l’imaginé et la réalité, lui procure la sérénité pour répondre avec sensibilité aux visions choisies. Cela explique pourquoi les œuvres de l’artiste ornent les murs des collectionneurs, toutes générations et couches sociales confondues. De fait, placés en enfilade, les multiples bas-reliefs de son œuvre, deviennent une fresque plus vraie que le vrai, voire une sorte de trajet à rebours pour tout un chacun pouvant y projeter les origines terriennes formant le terreau de la société québécoise.
Néophytes, collectionneurs et historiens de l’art, vont à la rencontre de cet art sans préjugé aucun, libres, parfois nostalgiques, toujours pour des raisons indicibles, mais allant droit au cœur! À vous, par cette publication, de découvrir cette œuvre d’exception : la création imagée de Jacques Lisée.
Michel Bois, artiste, journaliste, amoureux fou des Arts